La librairie est un lieu particulier, principalement en ceci qu’elle est un commerce qui est, à proprement parler, au service de ce qu’il vend, le livre, qui dépasse largement son intérêt économique propre. Métier complexe, fait de gestion fine, de manutention éprouvante, de conseils, de vigilance, véhiculant à la fois affects et nécessités économiques, exigences de qualité, d’écoute, de compréhension des attentes protéiformes des lecteurs, métier de mémoire, métier de saisissement d’un présent en constante mutation, elle est la garante par excellence de la présence de la culture et des idées au cœur de son environnement. Qu’elle soit généraliste ou spécialisée, elle sera toujours différente, toujours un peu autre, toujours dans et hors du monde.
En France, on compte environ 3300 librairies réparties sur l’ensemble du territoire, soit l’un des réseaux les plus denses au monde. Grâce à la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre, la librairie fait partie de l’exception culturelle française. Commerce extrêmement fragile, la rentabilité moyenne d’une librairie est de l’ordre de 1% de son chiffre d’affaires, c’est-à-dire qu’une librairie type, qui réalisera un chiffre de 600 000 €, dégagera un résultat de l’ordre de 6 000 €. Cette faible rentabilité, qui s’explique entre autres par la lourdeur des charges et des frais fixes, et par l’importance du stock qu’elle doit avoir pour répondre à une demande immédiate dans un marché dont la production ne cesse d’augmenter, en fait l’un des commerces les plus fragiles.
Les librairies ne sont de loin pas les seules représentantes de l’économie du livre. En réalité, elles ne sont que la partie visible d’un iceberg beaucoup plus conséquent que l’on appelle, dans le jargon du métier « la chaîne du livre », qui est l’ossature technique et organisationnelle de la création et de la diffusion littéraire. Cette chaîne est composée d’une multitude de partenaires, un ensemble de maillons nécessaires, qui travaillent au bon fonctionnement de l’édifice pour un but commun. Parmi ces maillons, on peut citer les auteurs, éditeurs, traducteurs, illustrateurs, correcteurs, imprimeurs, diffuseurs, distributeurs, transporteurs, les bibliothèques, les librairies, tous partenaires, concurrents parfois, et frères au service du livre.
Si l’on s’en tient aux librairies indépendantes, c’est-à-dire aux librairies qui ont et exercent le libre choix de ce qu’elles proposent, leurs enjeux sont aujourd’hui clairement identifiés. Il s’agit de se maintenir, de résister, d’essayer de se développer, en fidélisant leur clientèle par la qualité de leur accueil et par des sélections et des conseils professionnels de vrais libraires, loin de l’anonymat algorithmique des grands marchands du numérique. En offrant aux lecteurs le temps de tourner les pages, de caresser les couvertures, de sentir l’encre et le papier.
Dans un monde où tout s’accélère, il est d’une grande urgence éthique de s’arrêter un peu pour lire, afin de pouvoir penser seul ou ensemble à hier, à aujourd’hui, et à demain.
Luc Wildmaier, Librairie Bisey